Titre : La nuit du Sérail
Auteur : Michel de Grèce
Édition Olivier Orban, 1982

Résumé :
» Aimée Dubuc de Riverie, cousine de la future impératrice Joséphine, naquit à la Martinique à la fin du XVIIIe siècle. Capturée par les pirates barbaresques à l’âge de quinze ans, offerte par le Dey d’Alger au Sultan de Constantinople, elle verra dès lors toute son existence se dérouler dans le Sérail. Favorite du vieux Sultan, amoureuse et aimée de son successeur, mère adoptive d’un troisième Sultan, elle détiendra un pouvoir occulte de plus en plus important.
Rédigeant ses mémoires alors que ses jours sont comptés, Aimée revit l’incroyable aventure de l’enfant qui croyait en son destin : comment l’adolescente réduite en esclavage devint, à travers l’amour et les larmes, une jeune femme passionnée puis une Sultane au sommet de la puissance dans le monde clos, violent et fascinant de la cour de Turquie.
Michel de Grèce, en donnant la parole à son héroïne, anime d’un souffle romanesque la parfaite reconstitution d’une vie hors du commun. »
Mon avis :
Un deuxième coup de cœur de l’année est-ce possible ? Peu de temps après le premier ? Oui, c’est tout à fait possible, car comment décrire précisément ce livre autrement que par un coup de cœur de l’année !
L’histoire relate la fabuleuse vie d’Aimée Dubuc de Riverie, à 43 ans, atteinte d’un cancer, elle revient sur son passé. Elle passe son enfance à la Martinique, entourée d’une famille aimante, toujours accompagnée de sa cousine, Joséphine. Cette dernière va l’entraîner, l’année de leurs 9 ans, chez la voyante la plus réputée de l’île. Les deux filles vont découvrir qu’elles sont promises à deux destins aussi merveilleux l’un que l’autre, et si Joséphine au fil des années, laisse cette vision mystique de côté, Aimée, elle, est persuadée de sa réalisation. C’est ici, le début d’une vie semée d’embûches et d’aventures pour cette dernière.
Cette figure historique à réellement existé, mais les historiens préfèrent la croire disparue en mer, lorsque le bateau qui devait la ramener à la Martinique suite à une séjour en France chez sa cousine, fût pris d’assaut par des pirates. C’est à partir de là que Michel de Grèce va broder une histoire tout à fait plausible en retraçant la vie d’Aimée à partir d’archives et d’écrits.
Beaucoup d’artistes et d’écrivains aiment penser qu’Aimée fût offerte au Sultan Abdoul Hamid I, à Constantinople, et qu’elle monta progressivement les échelons. De camériste ( femme de chambre esclave ), elle deviendra bientôt la Sultane Validée.
» Ceux qui ont vraiment su qui vous étiez sont morts. Les autres ne feront que le soupçonner. Il y aura des rumeurs, peut-être des romans. » (p. 438 ) Voici une citation qui je trouve résume parfaitement la vie de cette femme.
Nous entrons dans un monde, qui pour nous les Occidentaux, est totalement inconnu. Jamais auparavant je n’avais lu de livre sur l’Orient, et l’univers particulier des Harems. En commençant la lecture, j’appréhendais énormément de ne pas réussir à comprendre ces particularités. Mais l’auteur a su rendre très accessibles ces nombreuses codifications, puisqu’Aimée est nouvelle également et ne connaît rien aux coutumes Orientales. C’est à travers elle que Michel de Grèce, à travers son apprentissage qu’il nous les rends abordables. Son écriture y est pour beaucoup, c’est un mélange de documentaire – fiction, mais sous entendu, de telle sorte que nous assemblons les informations et les comprenons.
J’ai beaucoup appris au contact de cette lecture, sur la place de la femme dans la société Orientale, dont nous avons parfois bien des œillères. J’ai adorée cette ambiance sensuelle, mais perpétuellement cachée, sous entendue, esquissée, des beauté du corps et de l’esprit de la femme. C’est une ode à l’amour, à la volupté, qui est décrite ici. Les nombreux rangs des femmes du Harem, m’ont impressionnée et j’ai découvert un pays dans un pays ! C’est hallucinant les codifications qui y sont présentes, comme le dit un éminent membre politique au service du Sultan, à Aimée, lorsqu’elle approche de Constantinople, et du Harem : »C’est un palais dans un palais, un État dans l’État. C’est une ville dont les habitants ne sortent jamais ; elle a ses propres lois, ses intrigues, ses drames. Aucune information, aucune rumeur ne filtre hors de son enceinte. Mieux vaux ne pas s’en approcher. Mieux vaux ne pas chercher à savoir ce qui s’y passe. »
Bien sur, il y a le thème important de l’emprisonnement de la femme et de l’esclavage, sous des dehors de beautés inaccessibles. Comme évoqué dans la citation plus haut, personne ne sort du palais, même le Sultan ! Une partie de ce palais est réservée aux femmes, qui sont idéalisées, et doivent être parées à tout moment de leurs plus beaux atours. Nous avons souvent tendance à fantasmer ces femmes hors du commun, comme ce tournant les pouces dans leurs étoffes de soie, mais ici, pas de place au farniente, c’est le soucis du bien être de l’homme qui est au centre de tout. La vie de ses femmes est une vie d’esclavage, dont elles veulent sortir en se rendant maîtresses du Sultan, et pouvoir avoir accès a l’influence sur le Sultan et l’empire.
En ce qui concerne ce dernier point, Aimée va être éduquée sur les uses et coutumes du Harem, ainsi que sur l’histoire du pays, ce qui donnera lieux à des descriptions sur les plus influentes femmes qui ont traversées l’histoire et la vie des Sultan. Ce point historique m’a beaucoup appris, et j’ai aimée être prise dans le récit sensuel et violent de ses femmes de pouvoirs, aux destins souvent tragiques.
La magie du Harem, et de ses femmes mystérieuses, la vie recluse qu’on y mène est décrite de façon gracieuse tout en ne cachant pas ses inconvénients, et le certain tragique de la situation.
Il y a également une grande partie concernant la politique. Cette dernière est la toile de fond du livre, les guerres et les traités politiques ont façonnés le pays et le mode de vie Orientale, ce que j’ai appréciée suivre. Tout est très bien expliquée, et avec des mots simples et puissants, l’auteur nous fais passer l’essentiel des enjeux. Je me suis surprise plusieurs fois à comprendre réellement la portée de telles ou telles nouvelles lois, c’est d’ailleurs très agréable ! De plus l’auteur nous donne l’impression d’être au cœur des événements, alors que bien souvent tout ce passe entre les murs du Palais.
Les différents complots du Harem, la politique mystérieuse du Sérail, très codifiée, est finalement accessible par l’écriture de l’auteur très précise. De plus, Michel de Grèce est l’héritier de la famille royale de Grèce, conjuguée à celle des Comtes de Paris, de par sa mère. Ce qui lui donne une forte prise sur l’Histoire de France, mais aussi sur celle de l’Empire Ottoman, par son histoire familiale.
En ce qui concerne les personnages, ils sont bien campés. Complets, humains, avec des réactions réelles, des sentiments parfois compliqués, mais ils n’ont jamais qu’une seule ligne de conduite, ce ne sont pas des archétypes de telles ou telles sentiments, de telle sorte que nous pouvons tout à fait nous attacher à eux.
Le personnage principal, Aimée, nous est très attachante, puisqu’elle relate à la première personne son histoire, et nous offre quelques passages, parfois, de ses journaux intimes. C’est une figure féminine qui à toujours cru en elle, qui ne s’est jamais laissée abattre malgré le nombre de tragédie qu’elle dut traverser, et donne l’exemple d’un profond courage, d’une force incroyable et d’une capacité d’adaptation hors-du-communs.
Nous pouvons faire un parallèle entre ce livre, et les romans picaresques du 18eme, où un héros, le picaro, à travers de nombreuses péripéties gravis les échelons sociales. Ici, avec le personnage d’Aimée c’est la même chose, mais en version féminine. Elle à également une particularité, celle de changer d’identité complètement, en changeant de pays, de meurs, de traditions, et surtout de prénom !
Les Sultans que nous rencontrons au fil des pages sont tous très différents, et cela donne une grande réalité au récit. Nous comprenons les enjeux du pouvoir et la difficulté de gouverner, tout en gardant ces valeurs, ainsi qu’une certaine autorité et conserver l’amour du peuple.
L’intrigue est bien construite, nous découvrons Aimée à 43 ans, atteinte d’un cancer, faisant une rétrospective de sa vie. Nous partons de son enfance, et remontons le temps. Ces nombreuses interventions, dans le récit, sur ce qu’elle regrette ou non dans sa vie, sont fort intéressantes. Cela nous montre qu’il faut savoir accepter son passé pour avancer. L’immersion est progressive, et tout est violent, ou chaleureux. Les sentiments sont forts, et je tire mon chapeau à l’auteur qui à su parfaitement se glisser dans la peau d’une femme. Malheureusement, je déplore que la succession des événements du début soient très rapides, puis que de nombreuses ellipses soient réalisées lors de sa vie au Harem. Mais cela reste tout de même mineur, au regard des nombreux points brillants de ce récit.
Une grande réalité se dégage de ce roman de société, de vie et d’exemple de courage féminin. C’est ici la vie que l’auteur décrit en faisant revivre cette femme, cet Empire religieux, et cette époque.
Je suis donc totalement sous le charme de ce livre, et de l’univers du Harem, et j’ai commencée à faire des recherches sur d’autres titres de l’auteur et sur d’autres livres traitant de l’histoire d’Aimée Dubuc de Riverie, la Sultane Validé, car l’histoire de cette femme m’a laissée une très forte impression. Michel de Grèce à su rendre le Sérail accessible, les petites subtilisées apportées sont d’une force sans égales, que j’ai vraiment envie d’approfondir le sujet.
- Points positifs : l’immersion progressive dans la vie et les codifications du Harem, les descriptions précises, les points de politiques très accessibles, les personnages attachants et humains
- Points négatifs : peut être une trop rapide succession d’événements au début, puis des ellipses assez longues en milieu de livre, mais c’est vraiment pour trouver quelque chose à redire, car un livre retraçant une vie aussi tumultueuse ne peut qu’être ainsi
Extraits :
» J’ai souvent pensé que la méconnaissance de l’avenir épargne à l’individu certains états de conscience proprement insupportables. Les occasions sont rares en effet, dans une vie humaine, où l’on peut dire avec une entière certitude : « Ce que je suis en train de vivre là ne se reproduira jamais plus. C’est l’unique fois ». » ( p. 83 )
»- Tant d’hommes veulent le pouvoir, tant d’hommes tuent et s’entre-tuent pour l’obtenir. Si seulement ils savaient ce que créer le pouvoir, cette responsabilité, ce fardeau de tous les instants. Moustafa était tout heureux de devenir Sultan et le voilà, éperdu, indécis, angoissé. Et moi, tout prisonnier que je suis, je ne l’envie pas d’être à la place que j’occupais. » ( p.164 )
L’auteur :
Michel de Grèce est le fils du Prince Christophe de Grèce, et le petit fils du Roi Georges Ier de Grèce et de la grande-duchesse Olga de Russie ; sa mère, la princesse Françoise de France, est la sœur du Comte de Paris. La Maison royale de Grèce étant une branche de la Maison royale du Danemark, le prince Michel de Grèce est cousin germain du duc d’Edimbourg, cousin du roi d’Espagne et de la reine du Danemark.
Michel de Grèce est né le 7 janvier 1939 à Rome où ses parents vivaient alors. Son père étant décédé lorsqu’il avait un an, sa mère s’installa au Maroc avec lui pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans la maison de sa grand-mère maternelle.
Après la mort de sa mère, en 1953, le prince Michel est accueilli dans la famille de son oncle, le comte de Paris. Il effectue toutes ses études en France, jusqu’au diplôme de Sciences politiques qu’il obtient en 1960.
Ensuite, il rejoint la Grèce, servant pendant quatre ans dans l’armée à Athènes. En 1965, il épouse Marina Karella, la fille d’un industriel grec. Sa femme n’étant pas de naissance royale, il doit renoncer à ses droits sur la couronne grecque.
De 1965 à 1972, Michel et Marina de Grèce vivent aux environs d’Athènes, et c’est à cette époque que le prince écrit son premier ouvrage, Ma sœur l’histoire, ne vois-tu rien venir ?, publié en France aux éditions Julliard et couronné par le prix Cazes. Sa femme, Marina Karella, est peintre et sculpteur. Elle a dessiné des décors et des costumes pour le théâtre grec, participe à de régulières expositions à Paris, Athènes et New York, et ses œuvres sont exposées dans de très nombreux musées à travers le monde.
